fleurs

Ballade pour un condamné à la chambre à gaz

Notre ami Gérard revient avec une ballade un peu particulière...

Ecrit par l'Ordissinaute Ratiordissimus

Toi, mon frère, le condamné,
lassé d' attendre depuis douze printemps,
dans le couloir de la mort
de ta prison états-unienne
qu'on t' offre cet ultime bain de vapeur
à l' odeur d' amande amère,
qui rappelle celle du kirsch ,
que tu aimais tant, tu souhaites
avec impatience presque,
que vienne l' heure de ton départ,
si souvent retardée,
parfois à la dernière minute.
Mais toi, que glace d' effroi contenu
la pensée des crimes
commis par le technologique progrès,
écoute parler ce gros bourgeois
bouffi de bêtise et de sadique vertu :

"Alors , Monsieur le Condamné,
vous vous êtes plaint, paraît-il,
de ce qu'on vous a si longtemps
négligé: c'est chose réparée,
Vous vous en irez samedi prochain
dans la nuit, à trois heures
l' heure de pointe des noctambules
et des bâfreurs de sexe

Vous avez beaucoup de chance,
Monsieur le Condamné,
qu'on vous ait choisi ce moment
d'intense, humaine communion.
Votre chambre à gaz sera :
votre boîte de nuit,
votre chambre à gaz sera :
votre chambre d' amour...

Et savez-vous , Monsieur le Condamné,
qu'on l' a repeinte,
tout exprès pour vous,
en ce vert pomme qui fut la couleur
de votre enfance,
puis de votre adolescence,
enfin de vos années d' études à l' Université,
bref votre couleur de prédilection
votre couleur-fétiche peut-être?
Il est cependant possible que vous la trouviez,
cette moderne, fonctionnelle chambre d' exécution,
un peu nue, un peu austère.
Voulez-vous, Monsieur le Condamné,
que nous l' agrémentions
du portrait d'un de vos ancêtres préférés
ou, plus modestement,
de celui d' un de ces beaux jeunes-gens sexy,
découpé dans un numéro récent
de votre magazine gay favori?
Car vous êtes gay,
nous le savons,
Monsieur le Condamné.
Alors mourrez en gay,
et, si possible, heu, ... gaiement,
si vous me permettez
ce spirituel jeu de mots!

Et puis remerciez-nous de
notre bienveillante sollicitude.
En d' autres temps, en d' autres lieux,
vous auriez fini sur la place publique,
battu à mort sur une roue poisseuse de sang,
ou bien écartelé entre deux fougueux chevaux
en face d' une foule empestant l' ail.
Ici, Monsieur le Condamné,, vous aurez u n départ
propre, hygiénique même;
et par la vitre
de votre dernière chambre,
vous pourrez apercevoir
dames et messieurs proprets,
bien mis, bien toilettés,
et vous pourrez, ô suprême jouissance,
toucher du regard trois gogo-boys sculpturaux,
les petits-frères de ceux que vous
flattiez tant de la main
dans cette discothèque de 'Frisco,
il y a treize ans, déja
(Mon Dieu, comme le temps passe!)
Nous les avons été chercher pour vous
tout spécialement.
Ils vous aideront, Monsieur le Condamné,
à nous quitter...
le sourire aux lèvres.

Et puis sachez aussi que
nous avons désigné pour apprêter les sels de votre bain
d' éternité les gardiens
les plus jeunes et les mieux faits
de cette prison modèle qui
accueille vos derniers instants:
c'est un cadeau de la Direction.
Et le plus beau de tous ces hommes
sera celui qui vous serrera à bloc
- pas dans ses bras-
nous le déplorons pour vous
Monsieur le Condamné-
les courroies qui ceignent votre thorax d' athlète
afin de vous donner envie de
respirer un bon coup sec,
vous précipitant ainsi dans le dernier rapide (à vrai dire
semi-rapide , veuillez nous en excuser par avance de cette nuit de week-end
Le voyage sera court, enfin pas trop long, rassurez-vous.
Bien sûr, vous suffoquerez atrocement - il faut l' admettre-
mais sans excès aucun,
Monsieur le Condamné.
Mais qui peut dire qu' il n'a jamais suffoqué se sa vie?
A la minute où nous vous parlons, il y a obligatoirement
- c' est une certitude mathématique-
un être qui, quelque part en ce vaste monde,
suffoque sous l' effet de crises d' asthme répétées
ou de l' interminable torture d'un cancer du poumon.
Si vous n' avez jamais connu tout cela., consolez-vous,
Monsieur le Condamné: vous ne suffoquerez pas longtemps,
Monsieur le Condamné, vous êtes bénit des dieux!

Ah, une dernière mais
importante chose: avant que de vous introduire dans
votre cabine de thanatonaute,
on vous demandera, - surtout la presse,
pas votre avocat, naturellement, comment vous vous sentez.
Répondez, Monsieur le Condamné, en souriant, par quelque propos plaisant, voire badin
N' usez pas. je vous en supplie, bien cher ami. je veux dire Monsieur le Condamné , de cette odieuse formule: "On le fait aller".
Les gens n' aiment pas ça du tout . On va toujours bien,
quoi qu'il arrive. Vous seriez de pessimisme accusé
Mauvais pour une ultime interview.
Vous feriez chuter le moral populaire, et qui sait? les actions. en bourse
Alors soyez raisonnable, Monsieur le Condamné. Profitez de vos derniers moments
ila vie est si courte, ne gâchez point ce qu'il vous en reste
Et puis soyez courageux, fort. On ne respecte que les forts:
vous le savez mieux que moi, vous qui faisiez partie,
dès votre jeune âge,
d' une bande d' orgueilleuses petites frappes
Enfin pensez à votre famille,
à votre amant aussi,
même si c'est lui qui , par amour.
d'une mignonne crapule .
à la police vous donna.
Songez aussi au compte-rendu
de votre solennel envol vers le
Pays-D'où- L'on -Ne-Revient- Pas.
Allez bonne chance et, surtout, bon voyage,
Monsieur le Condamné.
Partez, puisqu'il le faut,
mais partez en beauté.
Soignez votre publicité en-deçà de la
barrière du temps et de l' Histoire,
de votre personnelle fin du monde

Gérard