Poème "La beauté meurtrière"
La beauté s'aimait trop,
elle se débordait,
à l'étroit
dans le ciel.
Elle essaima,
quand son heure fut venue,
vers la terre
plus vaste des hommes.
La rumeur courut
qu' elle s' était laissée voir,
qu' on l' avait même touchée
en maint site hasardeux :
à midi ruisselant
de soleil, comme berger
assassin, sur les sentiers parfumés
de quelque Grèce antique;
ou à plus de minuit
en divers bars louches
comme truqueur ou tapin
courronné de captieuse fumée.
ou aboyeur de l' éphémère,
hurlant à l' envie qu'un amour éternel
vient de se fracasser la tête
contre l'écueil du petit matin
Tu joues, beauté,
à désirer qu'on te désire,
et tu aimes qu'on en meurt
vidé du sang de nos illusions.
Pourquoi faut-il que tu nous prennes
dans ta nasse magnétique
et que, cynique, tu nous relâches
avec un vilain sourire de glace,
Pourquoi nous pousses-tu à rechercher
la chaleur de sables blonds,
qui ne sont que mouvants,
sans nous révèler ton vrai nom?
Pourquoi fais-tu que les rivières
de l' amour se passent rarement à gué,
et persistes-tu à brouiller
les pistes fraternelles,
à pervertir les fresques de la passion
par les abus de ta lumière,
à étouffer les alarmes qui préviennent
la perte des conquêtes patientes?
Pourquoi ne montres-tu jamais ton vrai visage
et les secrètes trahisons qu'il abrite?
C'est lui qui te rend si terrible,
toi, incontrolâble meneuse de nos vies !
Gérard