Notre ordissinaute Pierre le Montois est l'auteur (et l'acteur bien involontaire) de ce texte.

Le crash du DC4 n°936 vécu par Pierre le Montois

Notre ordissinaute Pierre le Montois est l'auteur (et l'acteur bien involontaire) de ce texte.

Ecrit par l'Ordissinaute Pierre le montois

   

crash avion

 

Habitués à obéir mais toujours insoumis, forçant le passage avec autorité, nous n'avons pas compris ce jour-là que de chasseurs nous étions devenus gibier et qu'il fallait chercher notre salut dans l'esquive et la dérobade, erreur qu'il fallut payer. Voici comment.

N'djamena, Tchad, le 29 Janvier 1978, 1830 TU.

 

            A part une panne du réfrigérateur du bar de l'Escadrille Tchadienne et une grosse soif, pourquoi Jean-claude AUDRU "Nounours" et Julien DENIER "Le gitan"viennent-ils me voir à la concession SETUBA où est notre case-comprenez notre logement-à une heure pareille? La réponse m'arrive en pleine figure dès les premiers mots.

"Scabello s'est fait descendre cet après-midi sur la piste de ZOUAR, un peu avant les palmerais de YEN et KIRDIMI."

On se regarde, Nounours et moi, il est leader-pilote et moi leader-navigateur et nous avons fourni les noms pour le Detam FAYA-LARGEAU en C47 de cette semaine, SCAB vieux renard du désert et un jeune navigateur sortant de stage, N'GAMA, pour qu'il apprenne le TIBESTI. Les Pumas et les AD4 montent une opé demain, le DC4 décolle à 0530 avec la logistique. Je dis à Julien, l'OPO, de me mettre sur les ordres. On ne dit rien mais on sait qu'on ira voir l'épave. Rendez-vous à 0500 au parking

 

N'djamena, Tchad, le 30 janvier 1978, 0500 TU.

A l'heure à l'avion. C'est le DC4 n° 936, le plus beau de la flotte. Il est chargé de 21 fûts de 115/145 pour les AD4, sur 3 colonnes, bien tenus au plancher par un filet de sangles. Derrière, en vrac, la ferraille nécessaire à une escadrille de bombardement, barres de remorquage, charriots à bombe, etc.. ROLLAND prend la place droite, DHALENNE est notre mécano et ZAKARIA, notre copain pilote transport devenu Ministre des Mines et de la Géologie au sein du Conseil Supérieur Militaire fait le voyage comme Ministre. Décollage à 0530, cap direct sur FAYA-LARGEAU, la seule aide radio est le VOR et sa radiale de sortie, ensuite plus rien jusqu'au retour. On se repèrera au relief, là-bas, c'est notre jardin. Il fait jour d'un seul coup à 0630 et nous survolons l'ATAYMANGA,10° gauche et le but est devant. Nounours demande à parler à l'officier qui commandait la colonne hier et c'est notre copain BENODJI qui monte à la Tour avec son radio.

"SCAB était à l'heure pour débuter sa RAV vers ZOUAR, il a fait un passage très bas... (Le radio , en voix off : la roulette a touché la bâche du BTR..) et dans la ressource à la verticale qui a suivi, il s'est fait allumer par plusieurs 14,5 russes et de la kalach. L'avion a pris feu et est tombé derrière une dune (le radio : la fusée blanche, mon Capitaine)"..

Le Capitaine confirme : "une fusée avec une fumée blanche a touché l'aile ."

Et voilà, ils tirent des SAM7. Très mauvais pour nous! On passe FAYA, on monte au FL90 et on met le cap vers ZOUAR. Quelle décision prendre? Aucune, il est trop tard. Explosion à droite. Je passe dans le cargo pour vérifier les fûts, rien d'anormal, la ferraille en vrac m'empêche de voir l'aile droite. Je reviens devant. Forte explosion à gauche, comme une OF. Par le hublot, je vois le moteur n°2 en feu, je l'annonce, pas la peine, toutes les alarmes se sont déclenchés, sonnette, klaxon et clignotant. Je regarde le ballet des mains sur les commandes et les boutons. Les capots du 2 s'envolent, l'hélice se détache et passe sous l'avion, celle du n°1 aussi, j'entends la même chose à droite. Le Badin affiche plus de 250Kts. Nounours a le pied droit à fond, le manche au ventre et les ailerons à fond à gauche, bizarre! Le moteur a disparu mais le feu continue sur et sous l'aile. Nounours, tout pâle, me dit que s'est foutu et je le crois, en planeur et en feu, c'est évident. Je vais dans le cargo mais la première place n' a pas de ceinture et je me cramponne a une sangle. Je ne souhaite qu'une chose:ne pas souffrir. L'avion redresse sa descente et touche le sol, décélère avec violence, je suis plié en deux, une embardée à gauche puis tout s'arrête, silence, sauf le feu à gauche et sous les fûts. Je suis entier. Je sais que les issus de secours sont bloquées, je saute par dessus les fûts, j'atterris dans le poste équipage, la porte est ouverte, le soleil entre à flot, Nounours est là qui demande de l'aide, le copilote est resté à sa place, pas de son, pas d'image. La vitre est ouverte, on le tire chacun par une épaule, il glisse à travers sa ceinture et tombe par terre en vrac. Les deux autres reviennent et l'emporte. J'ai très mal au dos. Nous courons sur 200 mètres puis nous regardons l'avion, qui flambe et fond à vue d'œil, il ne reste que la dérive et le poste équipage, le reste est en train de brûler. Un panache de fumée noire s'élève droit dans ce ciel bleu de carte postale. Chaque fois qu'un fût explose, un anneau de fumée noire s'élève autour de la colonne. ZAK et DHALENNE sont retournés à l'avion mais il ne reste rien. Le copilote va mieux. On fait le bilan de nos biens : 3 trousses individuelles,1 miroir SOS,1 chasuble rouge qui me gênait dans mon blouson et que j'ai logé avec  ma trousse de secours.

Nous voilà vacants, vides , en attente, à se demander qui arrivera en premier des rebelles ou des Pumas. Pourvu que les Pumas ne se dégonflent pas!

 

Environ 30NM ouest de Faya-largeau, TCHAD, le 30 Janvier 1978, 1000TU.

"Flap, flap, flap" Les voilà, les Pumas arrivent, les premiers. Un Puma saute la dune, vire à gauche, c'est le Puma canon, il tire de coutes rafales de son canon de 20 vers l'ouest. Les rebelles, déjà ! Un Puma cargo se pose, nous sautons dedans,3 AD4 tournent au-dessus et s'organisent pour une passe de tir. Nounours s'empare du téléphone de bord et leur dit que nous nous sommes fait descendre par des SAM7, ils croient qu'on est descendus trop bas et que l'on a été touché par du 14,5. Fin du show aérien, tout le monde à ras du sol, cap sur FAYA  en sautant les dunes. Ils sont tous là à l'Aviation à nous attendre. Se voir rescapé dans le regard des autres est une drôle de sensation. Le médecin nous fait une piqûre, chacun son truc! Ce soir, nous serons chez nous à N'djamena.

 

Les rebelles, devenus nos alliés, ont toujours refusé de donner une sépulture à l'équipage du C47. Les corps sont dans l'épave. Le vent, seul vrai maitre des lieux, aura eu soin d'apporter assez de sable pour tout recouvrir et donner la paix et l'oubli. Il ne reste qu'une profonde amertume devant un tel gâchis. (SCABELLO, N'GAMA, LE GOFF, CARVAL)

L'épave du C47.
épave avion
crash avion

 

Texte paru précédemment sur http://aviateurs.e-monsite.com/pages/1946-et-annees-suivantes/crash-du-dc-936.html